Mon Premier amour

C’est la St-Valentin.  1971

Liz 7 ans


J’ai 6 ou peut-être 7 ans.  Je me réveille, le soleil illumine ma chambre jaune.  Je suis hyper excitée.

Hier j’ai écrit mes petites cartes de St-Valentin pour distribuer à tous mes amis préférés.  Carte c’est un grand mot, ce sont des petits cœurs avec des petites phrases : « Veux-tu être mon valentin? ».   Je suis excitée, mais aussi un peu stressée ; j’espère qu’ils vont dire oui!   Surtout Benoît!

Je m’habille en vitesse, descends les escaliers.   Avant le déjeuner, tous les matins je m’asseois sur l’annuaire pour me grandir sur la chaise jaune et maman me fait des lulus.  Mon « fun » durant la journée, c’est de les balancer de gauche à droite.  Je mange vite mes Corn Flakes et je bois le jus fraîchement pressé que maman vient de me faire.  Je me dépêche, j’ai hâte d’aller à l’école!

Je cours à l’entrée, je mets mes bottes chaudes mais laides et pratiques car dedans je peux garder mes souliers.  J’enfile mon manteau d’une pièce « Ski-doo » jaune, pas très beau mais ça garde chaud, de toute façon je n’ai pas le choix, c’est ma mère qui m’habille!   Pour la finition, elle m’emballe dans un foulard rouge qu’elle m’a tricoté qui va de Montréal à Québec!  Ainsi, je n’ai pas peur d’avoir froid pendant que je monte sur les bancs de neige, pour jouer à la reine de la montagne!

Je suis en première année, à la petite école du quartier.  Je prends l’autobus tous les matins en face de l’église.  C’est Monsieur Roy, le chauffeur.  C’est lui qui vient me reconduire à l’heure du lunch.  Il est aussi propriétaire du « Chalet ».  Le chalet, c’est notre « casse-croûte » du quartier, notre « hang out » préféré.  Quand maman n’est pas à la maison à l’heure du lunch, je saute de joie car je sais que je vais manger le meilleur burger avec frites et comme dessert, j’aurai un sac brun plein de bonbons à 1 cent!   Pousser les portes oranges du « Chalet » pour prendre place sur un petit banc rouge sur lequel je tourne sur moi-même et admirer un tableau devant moi, rempli de bonbons, c’est ma définition du bonheur!  Bonus quand j’ai un 25 cents pour jouer à la machine à boules!

Quelle chance!  Hier j’y suis allée et j’ai acheté des bonbons en forme de cœur.  Ils viennent en jaune, blanc, rose, bleu,…tout en pastel avec un message écrit dessus comme « Be mine », « xoxo » ou « smile ».  On les retrouve seulement à la St-Valentin.  J’ai hâte d’en offrir à mes amis!

Bonbon de St-Valentin

J’arrive à l’école, en entrant, il y a une rangée de chopines sur le bord du mur.  Je dois faire mon choix : jus d’orange, lait au chocolat ou la limonade. Je choisis vite le lait au chocolat.  Je cours m’asseoir à ma place.  Le professeur tire la télé en avant de la classe.  On va écouter Les « Oraliens » et les « 100 tours de 100 tours ».  J’adore ces deux émissions.  J’ai presque de la peine quand c’est fini.  Les acteurs nous parlent directement, ils nous voient et nous posent des questions auxquelles on répond tous en cœur.  Ensuite Mme Garneau, mon professeur que j’adore, nous fait un petit test puis vient la récré.  Je donne mes cartes et j’en reçois beaucoup.  C’est agréable de savoir qu’on nous aime!

Tout le monde dans la classe ou presque sait que j’ai un « crush » sur Benoît et j’apprends que c’est réciproque!  On se fait des petits sourires et on échange des fois des bouts de phrase et des regards, une autre petite source de bonheur.

À la récré du midi, des petits « bullies » ont décidé que Benoît et moi allions nous embrasser. On nous kidnappe tous les deux, et tout d’un coup on se retrouve face à face avec des gens qui chahutent et qui poussent et d’autre en arrière de moi : « malaise! ».  J’ai pas mal de caractère.  Un peu « tomboy ».  Je refuse, je me débats et je quitte en courant.  Je n’aime pas qu’on me force à faire les choses.  J’ai 7 ans.  J’aime rêver à Benoît, échanger des sourires, des mots, des regards mais de là s’embrasser « Eurk! » c’est pour les adultes.  Des fois le rêve est plus attirant que l’acte.

On retourne en classe.  Je suis un peu triste.  Je me demande si Benoît m’aimera encore.  Il n’y a plus d’échange de sourire ou de regard.  C’est compliqué l’amour.  La classe finit.  Je retourne à la maison.  Dans l’autobus je parle avec mon amie Lizanne.  On se verra peut-être ce week-end.

J’arrive à la maison.  Je joue un peu dehors.  Je fais un bonhomme de neige.  J’ai froid.  Je rentre.  J’espère que je n’ai pas manqué l’émission Bobino (Radio-Canada).  Lui aussi me parle et peut voir à travers l’écran!  C’est l’heure des devoirs.  Je travaille sur la table de cuisine pendant que maman prépare le souper.

Il est 18 heures.  J’entends la porte d’en avant.  C’est papa.  Je cours pour le rejoindre.  Je l’embrasse.  Je suis heureuse de le voir.  Il a des cadeaux!  Un pour chaque femme de la famille (il est notre seul homme!).  Quatre cœurs en velours rouge de Laura Secord, plein de chocolats.  Maman est chanceuse, elle en a un très gros.

Papa entre, se dirige vers le sofa bleu, échange son veston pour sa veste de laine beige et enlève sa cravate. Il est maintenant en tenue « comfo-maison ».  Il va embrasser maman dans la cuisine.  Lui demande si on soupe bientôt.  Il aura le temps pour faire une petite sieste sur sa chaise, son « Lazy Boy».  La chaise du Boss.   Celle qui était source de tiraillement quelques minutes plus tôt, entre moi et ma sœur pour mieux écouter la télé, parce qu’en pesant sur un petit bouton on peut se retrouver bien confortablement les pieds en l’air.  C’est ce que papa fera.  Ma sœur et moi devrons nous éclipser pour le laisser en paix.  Ensuite maman apportera une pomme verte coupée en quartiers pour que papa ne meurt pas de faim.  Après sa sieste, il écoute les nouvelles. Maman prépare un rôti de bœuf avec pommes de terre pilées, carottes au beurre à l’ail et sauce béarnaise.  C’est prêt.  Elle nous appelle pour souper.  Carole, ma sœur aînée, qui lisait, sort de sa chambre.   Nous prenons place tous les cinq autour de la table et on se raconte nos journées.

Après le dessert, on se lève de table, on se dirige sur le sofa devant la télé.  On écoutera « The Sound of music » et je pourrai regarder Frédérik, sur qui j’ai aussi un « crush » ce qui me fait oublier Benoît momentanément!

Je m’assois sur les genoux de papa.  Je suis tellement heureuse de mes chocolats.  C’est notre tradition à chaque St-Valentin.  Papa n’oublie jamais.  Je m’endors sur lui.  Je l’aime je l’adore, c’est lui le seul homme de ma vie!

Papa n’est plus mais il y a toujours du chocolat.  Comme Laura Secord existe depuis 1913, tout porte à croire que le père de mon père faisait possiblement la même chose pour ses enfants et sa femme.  Trente ans plus tard, je continue la tradition.  J’ai un peu alterné.  Chaque année, j’achète un cœur Laura Secord à mon fils et pour mon mari, c’est une grande boîte de chocolats noirs de Chocolat Gendron.  Le meilleur au monde!  Artisanal et fait au Québec, c’est du bonheur en boîte. 

Les goûts changent, mais l’important, c’est cette tradition.  À chaque fois que j’entre chez Laura Secord, j’ai l’impression d’être avec mon père.  À chaque St-Valentin, quand je donne mes chocolats je sens qu’il est encore avec moi.  Il vit encore car il vit à travers moi.  Peut-être qu’un jour, mon fils à son tour deviendra l’idole de sa fille, le temps d’une vie, le temps d’un chocolat.

0 replies

Leave a Reply

Want to join the discussion?
Feel free to contribute!

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée.